Interview avec Auxtin Ortiz, directeur du Forum Rural Mondial (FRM) par FIDA-MERCOSUR
L’objectif principal de l’AIAF+10 restera l’amélioration des politiques publiques en faveur de l’agriculture familiale. « Dans le cadre de cet objectif, notre priorité sera le rôle de la jeunesse et du renouvellement des générations en agriculture, ainsi que l’égalité entre les sexes en agriculture familiale, un point sur lequel il reste encore beaucoup de progrès à faire », a signalé Auxtin Ortiz, le directeur du Forum Rural Mondial (FRM).
— Qu’est-ce qu’implique l’AIAF+10 ?
L’AIAF+10 représente une étape supplémentaire dans la campagne en faveur de l’agriculture familiale initiée en 2008. Il existe un Comité de Coordination Mondial composé des principales organisations de l’agriculture familiale impliquées dans cette campagne.
— Dans certains forums, l’AIAF 2014 a suscité une certaine déception, due à des attentes quelque peu irréalistes… Que peut-on attendre d’une telle campagne ?
— Tout processus de politique publique, sans exception, dans n’importe quel pays, à n’importe quel moment de l’histoire, est lent par définition. Il faut être conscient du fait que l’élaboration d’une politique publique n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais un processus rapide pouvant être mis sur pied du jour au lendemain. C’est tout simplement impossible.
Cela dit, l’Année Internationale a permis d’accomplir cinq grandes réussites. La première est l’importante vague de reconnaissance qui s’est installée en faveur de l’agriculture familiale. Dans de nombreuses régions du monde, l’agriculture familiale était considérée comme appartenant au passé, n’ayant pas de futur, comme quelque chose d’inutile, à supprimer. Je crois que suite à l’Année Internationale, les gens et les institutions envisagent l’agriculture familiale sous un angle beaucoup plus optimiste. On a insisté sur le fait que l’agriculture familiale génère 70 % des aliments de la planète, que 40 % des familles vivent de l’agriculture familiale et que, par conséquent, l’agriculture familiale génère énormément d’emplois et de recettes. On a également insisté sur le fait que l’agriculture familiale permet de préserver la diversité agropastorale, ce qui s’avère de plus en plus important dans un contexte de changement climatique. La façon de concevoir l’agriculture familiale a changé.
Il est par ailleurs important de souligner que certains organismes internationaux ont adapté leur structure et leurs objectifs afin de mieux répondre aux besoins de l’agriculture familiale, cela grâce à l’Année Internationale. Par exemple, le Comité de l’Agriculture de la FAO a sollicité à la FAO l’incorporation de l’agriculture familiale au sein de leurs cinq objectifs stratégiques. À notre avis, cela représente un grand pas en avant. Le IICA a adapté certains points et a entrepris des projets d’agriculture familiale dont ils ne disposaient pas auparavant et qu’il qualifie de projets phares. Ainsi, certains organismes se sont fait l’écho de l’Année Internationale et ont adapté leur mode de fonctionnement, ainsi que leur structure, en faveur de l’agriculture familiale.
La troisième réussite, et certainement la plus importante, concerne l’adoption de changements concrets de politique publique en faveur de l’agriculture familiale dans 13 pays. De plus, 29 autres processus de politique publique ont été entamés et seront mis en place d’ici peu. Par exemple, en Gambie la loi sur le foncier rural et la loi sur les semences ont été améliorées en faveur de l’agriculture familiale. En Slovaquie et au Burkina Faso, des augmentations budgétaires ont été accordées en faveur de l’agriculture familiale. Aux Philippines, des progrès considérables ont été réalisés au profit des producteurs de noix de coco. Il existait une espèce de fonds destiné à ces producteurs qui avait été utilisé illégalement et qui leur a été rendu en partie. Ce ne sont que des exemples, mais au total 13 changements de politique publique ont été appliqués dans le monde.
— Quelles sont les objectifs et actions les plus imminentes par rapport au prochain AIAF+10 qui se tiendra de 2015 à 2025 ?
L’objectif principal de l’AIAF+10 restera l’amélioration des politiques publiques. Dans le cadre de cet objectif, d’un point de vue thématique, notre priorité sera la jeunesse et le renouvellement des générations en agriculture, ainsi que l’égalité des sexes en agriculture familiale, un point sur lequel il reste encore beaucoup de progrès à faire.
Ensuite, nous comptons sur des propositions plus concrètes pour arriver à cet objectif. L’un des axes de travail de l’AIAF+10 consiste à essayer de mettre en relation les centres de recherche agricole avec les organisations de l’agriculture familiale. Nous pensons qu’ils sont très mal connectés et que ce point doit être amélioré.
Nous allons également veiller à promouvoir les comités nationaux, lesquels sont des structures de dialogue politique en faveur de l’agriculture familiale. Nous prétendons promouvoir le dialogue entre les décideurs, les gouvernements, les parlements, les sénats, tous ceux qui créent et mettent en place les politiques publiques, ainsi que les organisations de l’agriculture familiale. Mercosur dispose d’une expérience très solide à cet égard. Nous désirons encourager ce type d’expériences de dialogue politique au cours des 10 prochaines années dans le monde entier, en particulier à travers les comités nationaux de l’agriculture familiale présents dans 40 pays.
Un troisième projet que nous réalisons de façon concrète vise la promotion de directives en faveur de l’agriculture familiale. Nous souhaitons élaborer une proposition commune —entre différents acteurs, organisations, gouvernements, organismes internationaux, centres de recherche— sur la nécessité de promouvoir l’agriculture familiale et comment y parvenir. Les directives en faveur de l’agriculture familiale s’appliquent au niveau national, également au niveau régional et, dans une dernière étape, au niveau mondial.
Je voudrais souligner certaines idées qui me paraissent très importantes pour l’AIAF+10. La première idée est que l’AIAF+10, comme c’était le cas pour l’AIAF 2014, se déroule en collaboration et avec la meilleure coordination possible avec différents agents de la société : avec les gouvernements, avec les organismes, et évidemment avec la société civile, qui est probablement le secteur le plus actif dans cette initiative. Nous sommes disposés à collaborer avec tous ceux qui désirent promouvoir l’agriculture familiale.
Dans cet état d’esprit, nous avons toujours travaillé main dans la main avec la REAF, avec les gouvernements de Mercosur, d’Amérique Latine et des Caraïbes ; nous avons créé des alliances avec des organismes comme le FIDA Mercosur, qui est un allié très important depuis 2008, autant dans ce processus que dans l’action ; avec Coprofam, avec qui nous entretenons un rapport très étroit et qui fait partie du Comité de Coordination Mondial, et avec d’autres organisations de la société civile.
Une autre idée importante est celle de garantir une continuité suite à l’AIAF 2014 : c’est l’idée phare de l’AIAF+10. Nous considérons qu’il s’agit d’un processus qui a commencé il y a déjà pas mal d’années et qui doit continuer. Il ne serait pas raisonnable que, après avoir travaillé sur l’Année Internationale, tous ces efforts prennent fin. Par conséquent, l’AIAF+10 symbolise également un appel à tous ceux et celles qui souhaitent continuer ce processus et garantir sa continuité.
J’aimerais également souligner que l’AIAF +10 est actuellement en cours d’élaboration : 40 comités nationaux y travaillent, tout comme le Comité de Coordination Mondial, les organisations continuent à le promouvoir et des projets en relation avec l’AIAF +10 sont en préparation.
L’AIAF+10 cherche activement à ce que l’Assemblée Générale des Nations Unies déclare formellement et officiellement la Décennie pour l’Agriculture Familiale. L’engagement de tous, et particulièrement des gouvernements, est requise pour que cela soit possible.
Une autre idée principale de l’AIAF+10, également dans le contexte de la REAF, est que l’on considère que la société civile, et particulièrement les organisations de l’agriculture familiale, doivent être constamment présentes lors de l’élaboration des politiques publiques. En d’autres termes, que celles-ci soient coproductrices ou cocréatives de la politique publique.
Source: FIDA-MERCOSUR